Cimiez est réputé pour l’excellence de son patrimoine. Un patrimoine riche en repères historiques, du Céménélum au Regina via les Musées Matisse et Chagall et le Conservatoire. Mais il existe d’autres lieux qui participent à leur manière à la pérennité du site. Qui ne connaît pas l’Auberge de Théo ? En 37 ans ce restaurant sur l’avenue Cap-de-Croix, face au Rectorat a accueillit plusieurs générations de niçois. Entre ses murs la tradition aussi se perpétue, en famille et avec le même bonheur !
Matteo Mansi, fondateur de cette table à l’accent italo-niçois sans avoir vraiment raccroché son tablier a passé le relais en cuisine à son fils Christophe, 41 ans, qui œuvre à ses cotés depuis 21 ans.
Retour en arrière : « Quand je suis arrivé ici en 1980 c’était un caboulot désuet avec une grande volière dans son jus (rires) tenu par Maria, une vieille niçoise. » S’installer dans ce coin isolé était alors un pari mais Matteo qui travaillait depuis 1977 sur le port de Saint-Laurent été bien décidé à se mettre à son compte « j’ai lâché mon place au Via Veneto pour foncer avec ma femme direction le haut Cimiez. A cette époque ce quartier où trônait la Villa Paloma était encore un peu en friche. Je suis fils et petit-fils de paysans. Ce bout de campagne me convenait parfaitement. J’ai acheté le local en 1980, j’ai tout cassé, remis à neuf. Maria disait à tout le monde : c’est un fou !» Mais le 5 février 1982 s’ouvrait l’auberge de Théo à l’endroit où elle est encore aujourd’hui. « Au début on venait nous voir comme une nouveauté. J’avais comme voisin Jean Sappia On était confrère. Plus haut il y avait Nallino qui faisait encore le Baletti. Le Rectorat n’était encore élevé » Mais bientôt les premiers à venir déguster la pasta et les pizzas de Théo furent entre autres les ouvriers de ce gros chantier.
Matteo Mansi en s’appropriant cette auberge entre la ville et les collines où vont traditionnellement « banqueter » les niçois s’était lancé en défi « Au-dessus de la Clinique Saint-Georges on aurait été collinaire et l’enjeu tout différent.» souligne Christophe. « Diffèrent », le mot est lâché car l’Auberge de Théo est certainement la réussite la plus atypique du Comté. Une réussite qui se mesure à l’aune de sa longévité et par sa faculté irrésistible à fidéliser. « La vrai challenge ce n’est pas de remplir mais de fidéliser, d’avoir pu créer une ambiance si chaleureuse ! Imaginez-vous qu’il arrive que des clients viennent me faire gouter le gâteau qu’ils ont fait à la maison ! (Rires) »
Le rectorat a ouvert en 1983 drainant prés de 500 personnes. Une manne pour le restaurant. « Cette académie gère les Alpes Maritimes et le Var, alors quand les cadres sont en réunion ils viennent déjeuner ici tous ensemble. Mais nous avons aussi des fidèles qui viennent de la Clinique Saint-Georges, du CHU Pasteur, du Conservatoire, de l’EDF, des étrangers via les bus de tourisme en provenance des Musées Chagall, Matisse et du site archéologique » Sans oublier tous les résidents de Cimiez qui ont pris très vite leur rond de serviette dans cette auberge providentielle. « Je me rappelle qu’au début un vieux monsieur qui promenait son chien m’a dit un soir : Vous pouvez pas savoir comme c’est rassurant de voir de la lumière et de l’animation dans ce quartier ».
Ayant fait son nid sur ces hauteurs, c’est presque naturellement que L’auberge de Théo devint le QG gourmand et incontournable de Cimiez. Si Théo aime à dire « C’est nos clients qui ont fait notre réussite », sa passion des fourneaux, sa boulimie de travail et de perfection, contribuèrent largement à l’essor de la table. Une table qui joue crânement la carte des saveurs italiennes et du cru. Bon sang napolitain ne saurait mentir ! Mais avec l’exigence de la qualité d’aval en amont. « Christophe et moi avons le titre de Maitres Restaurateurs. Nous n’avons pas attendus que ce soit la mode pour travailler avec des produits du marché et un arrivage journalier » Une fraicheur qui se retrouve dans l’assiette. « En plus de trente ans nous avons du évoluer. Au départ j’étais réputé pour mes pizzas et mes pates. Progressivement nous avons ouvert la carte à d’autres saveurs de notre héritage latin. Aujourd’hui les poissons occupent la moitié de la carte et des suggestions. Mais on vend toujours autant de pizzas sur place ou à emporter. Et puis il y a des plats historiques que je peux pas retirer sans me fâcher avec beaucoup de personnes tels le gratin de pates à la sicilienne ou notre Escalope Valdostana ». Christophe de rajouter : « La cuisine italienne c’est le classicisme par essence, une cuisine exhalant l’huile d’olive, des saveurs sensuelles qui ont traversé le temps sans prendre une ride. Avec le retour à la tradition, aux valeurs saines, durables, nous sommes plus que jamais dans l’air du temps ! »
Si le décor de l’auberge a été réactualisé neuf fois depuis l’origine et un toit ouvrant installé pour les beaux jours, ce qui n’a pas changé c’est l’accueil familial et le service irréprochable qui fait que l’auberge n’a jamais cessée de recruter des tifosi. L’équipe qui fut rejointe plus tard par le frère de Théo compte une dizaine d’employés dont, Patrick qui œuvre en salle depuis plus de trente ans. « Mon plus grand plaisir est de voir les familles revenir au fil des générations » explique Théo rejoint par son fils : « J’ai été élevé dans ses murs. J’ai vu moi aussi tous ses habitués grandir avec nous. Et cela me fait tout drôle quand je vois des trentenaires que j’ai connu gamins revenir avec leur épouse et une poussette »
Il y a les fidèles (et ils sont légions) venant parfois extra muros, de Cannes à Menton mais aussi une clientèle de passage, plus furtive. « J’ai reçu l’élite de la médecine, des figures de la politique, du show bisness, mais je leur ai toujours fichu la paix. C’est ce qu’ils recherchent. Ils fuient la foule, la promiscuité en venant chez nous à Cimiez. Je me souviens de Jean Reno débarquant un soir et me lançant de sa voix de stentor : Chef, je vous laisse choisir pour moi ! Je lui ai préparé de l’espadon à la tomate comme dans le Grand bleu. Il s’est léché les doigts, et nous nous sommes tutoyés. J’ai côtoyé des gens différents, de toutes conditions ! Ma grande force est de ne jamais avoir fait de distinguo entre un diplomate et le cantonnier du coin. Je ne suis pas un restaurant people mais le restaurant de tout le monde ! » S’empresse de rajouter celui que tous les familiers appellent ici Théo.
Aujourd’hui à 64 ans, la passion du métier encore chevillé au corps, ce professionnel ne lâche rien ! Cette auberge, c’est son bébé. Il supervise, prête main forte au fiston quand il y a le coup de feu. Avec l’âge et l’expérience il pense aussi à la relève et à transmettre son savoir-faire. Depuis dix ans, il participe à des concours culinaires internationaux afin de promouvoir sa cuisine et défendre les couleurs niçoises avec les Maitres Restaurateurs. « Je suis si enthousiaste de voir que cette nouvelle génération de chefs est si exigeante sur la qualité et que de bonnes adresses portant ces valeurs s’ouvrent dans Nice. Il faut les soutenir. J’ai à cœur avec l’aide de la CCI de fédérer les restaurateurs d’ici. Je crois qu’à court terme le niveau va encore monter et que Nice sera en tête des régions gourmandes » Quant à la relève à l’Auberge de Théo, sous l’œil bienveillant de son père, Christophe y veille. Et puis le jeune chef a déjà fait deux enfants. Sait-on jamais !
Légende photo : Christophe et Théo Mansi, deux générations de Maitres Restaurateurs à Cimiez